ANALYSE du JOURNAL DE GUERRE ALGERIE n° 1 |
Diverses sources, parmi les membres de
plusieurs associations, se sont inquiétées de la publication récente d’un
magazine présentant des journaux d’époque de la guerre d‘Algérie.
De quoi s’agit-il ?
Dans la série dite « Les Journaux de guerre
» qui a récemment produit la période 1939-45, l’éditeur anglais Peter Mac Gee
propose « une collection unique de quotidiens originaux de la guerre
d’indépendance algérienne » (formule sans doute volontairement calquée sur la
guerre d’indépendance américaine, dont la renommée est forte en France et qui
hisse ainsi les rebelles algériens au niveau des « Patriots » américains)
En ouverture du n° 1, paru le 28 décembre
2017, la rédactrice en chef, Julie MAECK (qui est une spécialiste de l’image en
histoire) explique que cette nouvelle publication « a pour ambition d’éclairer
les deux versants –français et algérien- de cette histoire, en faisant
écho à la pluralité des voix ».
Elle s’appuiera pour cela sur la presse de
l’époque, qui était alors la principale source d’information (pas de TV ni
d’Internet ni de réseaux sociaux) et qui exprime donc « la multiplicité des
facettes d’une guerre qui ne dit pas son nom », selon son propos introductif.
D’emblée, le ton est donc donné, car, si l’intention est louable, le terme
employé de « guerre d’indépendance algérienne » exprime en lui-même une prise
de position que ne reflètent pas les comptes rendus de l’époque.
La publication proposée (n°1) comporte :
• la reproduction du journal LE FIGARO du 2 novembre 1954 • la reproduction du journal ALGER
REPUBLICAIN du 2 nov 1954 (journal lié au Parti
communiste algérien)
• un cahier de 7 pages de commentaires signés par : o Patrick EVENO, universitaire de Paris I, spécialiste de l’histoire des médias o Maurice VAISSE, professeur à l’IEP de Paris, historien des Relations internationales et président du conseil scientifique pour la recherche historique au Ministère de la Défense o Annick LACROIX, universitaire de Paris 10 o Daho DJERBAL, universitaire de la Faculté d’Alger o Guy PERVILLE, historien spécialiste de la guerre d’Algérie
• un document «
historique » intitulé « COLONIE CHERCHE COLONS », reproduisant une affiche de
1903 encourageant l’installation de fermiers en Algérie (en soulignant que
l’attribution des terres vient de la confiscation de celles-ci aux autochtones)
• un DVD présentant
le film « LA BATAILLE D’ALGER » de Pontecorvo,
produit par Yacef SAADI.
Le simple énoncé du contenu de cette
publication parle de lui-même quant à son objectivité historique. Il est vrai
que l’une des conseillères historiques est Mme Raphaëlle BRANCHE, dont on
connaît l’œuvre.
Les commentaires présentent un habile
mélange de faits incontestables et d’interprétations plus libres, notamment par
le fait de généralisations abusives de quelques cas particuliers ou
d’événements d’importance limités.
Le tout s’appuie sur la doctrine officielle
algérienne tendant à démontrer que la rébellion née le 1er novembre 1954 est
héritière d’un siècle d’une résistance populaire commencée sous Abd-El-Kader. On regrettera que certains universitaires de
talent et connus pour le sérieux de leurs travaux, se soient laissés entraîner
dans cette aventure, à moins que leur participation, au fil des numéros
suivants, ne parvienne à équilibrer le discours.
Mais le plus grave, en ces temps de
terrorisme islamique, réside :
o d’une part, dans la désignation de la
France comme coupable des faits reprochés, phénomène qui ne peut qu’encourager
toutes les rancoeurs en laissant croire que la
population algérienne a été victime d’une persécution permanente, générale et
organisée, aujourd’hui à l’origine de la situation de l’Algérie
o d’autre part, dans l’encouragement ainsi
apporté à l’action terroriste, puisque l’argumentation développée tend à
démontrer que les procédés démocratiques n’ayant pas produit les résultats
attendus, seule l’action terroriste engagée le 1er novembre 1954 a permis de
déboucher sur l’indépendance de l’Algérie.
On notera enfin que cette production est le
fait d’une société d’édition anglaise, dont le directeur, Peter Mac Gee, a été
à l’origine de la tentative récente de ré-édition de
la version originale de « MEIN KAMPF », le but étant sans doute de se livrer à
un « coup » médiatique. Il en est sans doute de même pour cette publication,
qui ne relève d’autant moins d’une démarche historique que l’un des principaux
contributeurs en est la FNACA.
Et l’on pourrait résumer la question en se
demandant « à qui profite le crime » ?
Certains s’étonneront de constater que l’un
des organismes présentés comme partenaire de la collection (avec la
Bibliothèque Nationale de France qui a sans doute fourni les journaux
originaux) est l’Etablissement de Communication et de Production Audiovisuelle
de la Défense (ECPAD). Sous réserve d’avoir confirmation d’un éventuel
engagement actif de cet établissement de l’Etat dans cette entreprise
hasardeuse, on observera qu’il est normal que cet organisme soit cité dès lors
qu’il fournit (en général de manière payante) des images exploitées par
l’éditeur. Cela fait partie de la convention que celui-ci a dû signer avec
l’ECPAD. Il n’y a donc vraisemblablement pas lieu de faire un procès
d’intention à l’ECPAD.
En conclusion, et en attendant de voir ce
que seront les numéros suivants (le n° 2 sera consacré à la torture…) on se contentera d’observer que tous ceux qui ont une autre vision de
l’histoire de cette période tragique peuvent rapprocher cette production de
récentes expositions institutionnelles ou de livres destinés à la jeunesse.
Leurs auteurs, même lorsqu’ils sont de bonne
foi, sont en effet victimes de la désinformation générale dont le récit de la
guerre d’Algérie fait l’objet depuis plus de cinquante ans. Les plus jeunes
n’ont d’autres sources que celles d’une certaine forme d’histoire et ne peuvent
que se trouver confortés dans leurs opinions par la convergence des récits,
alimentés par des mémoires orientées. D’autant que des documents plus
objectifs, réalisés par des universitaires de qualité ou des témoins honnêtes,
sont souvent demeurés confidentiels et peu connus du grand public. Il ne faut
pas s’en étonner : nombreux sont ceux qui se révoltent à la lecture des
documents tels que celui évoqué ci-dessus, mais peu sont ceux qui prennent leur
plume, avec mesure et compétence, pour en démontrer les mensonges, les erreurs
ou les amalgames.
Général (2S) Henry-Jean FOURNIER |
Transmis par Jean Monneret -Mis en page
le 10/01/2018 par RP |